Au comptoir, on refait le monde ... des cocktails
L’Association des Barmen de France (ABF) organise la première édition de l’ABF Shaker Challenge le mardi 8 novembre prochain sur le salon EquipHotel (pavillon 4 du Parc des Expositions de la Porte de Versailles). Le concours national, dont les inscriptions sont ouvertes, se veut inclusif : il ne s’adresse pas seulement aux bartenders spécialistes en mixologie mais à tous les barmaid et barmen qui travaillent dans les lieux servant de la boisson, cafés, restaurants, clubs, casinos ou encore pour l’évènementiel. Pour les attirer, l’ABF a créé pour l’occasion un nouveau référentiel de cocktails baptisés « Les Essentiels ». Composés de deux ou trois ingrédients au maximum, ils sont simples et rapides à réaliser, leur décoration sobre et leur coût maîtrisé.
Cette ouverture est en phase avec l’objectif de l’ABF qui souhaite élargir sa base et intègre dans ses rangs depuis 2018 toutes les catégories de personnel qui œuvrent dans le bar. Si elle compte aujourd’hui près de 1 800 adhérents, René Delvincourt, son Président, vise « 10 000 personnes » dans les années à venir.
Une profession qu’il est d’autant plus important de fédérer que le monde des boissons est en pleine ébullition. Il n’est pas question de volumes : la tendance est au slow drinking, comprendre boire moins mais mieux. Il ne s’agit pas de s’alcooliser mais de dé-gus-ter. Dans le shaker, les ingrédients montent en gamme et les créations sont mieux exécutées. Une aubaine commerciale puisque ces cocktails premium sont vendus plus chers alors même que les verres sont souvent moins remplis.
Le vert est dans le verre
Les produits de niche sont à l’honneur. Les origines se diversifient et le made in France se taille une place de choix derrière le comptoir. Des boissons vintage et des catégories un peu endormies comme les liqueurs, les amers ou les apéritifs à base de vins sont revisités. « C’est la chasse aux trésors » s’enthousiasme René Delvincourt.
Parmi cette production artisanale de grande qualité, le bio gagne du terrain, même si « cela concerne davantage les jus de fruit et les nectars » et qu’« il n’y a pas encore de carte de cocktails bio » selon le représentant des métiers du bar. Un constat que ne partage pas tout à fait Victor Delpierre. Le consultant, qui évolue dans le monde de la haute gastronomie, constate-lui « un véritable retour à la nature, au local et à une production basée sur des valeurs éthiques ». Parmi de très nombreux craft spirits qui ont ses préférences, il cite le gin 44°N, fabriqué à Grasse par un ancien parfumeur, la distillerie du Vercors et sa gamme de whisky bio Sequoia, la sapinette, liqueur réalisée à partir de bourgeons de sapin récoltés au printemps de la distillerie des Aravis ou encore la vodka bio des domaines Francis Abécassis.
Comme en cuisine, le durable s’accoude au comptoir. Outre un bannissement du plastique, « le monde du bar est de plus en plus lié aux saisons et au local » affirme l’expert multicarte, tout à la fois barman et barista. Finies les recettes à rallonge, ces ingrédients vertueux sont également moins nombreux. Bien sourcés, ils sont en revanche davantage transformés (infusions, décoctions, macérations ou encore gazéifications) voire cuisinés.
Une « cuisine des boissons ® »
Le champion du monde Coffee in Good Spirits 2013 Victor Delpierre propose d’ailleurs une approche « gastronomique » du cocktail. Celui qui a formé son palais auprès de chefs étoilés tel que Régis et Jacques Marcon, Michel Kayser ou encore Bruno Cirino, considère cette « cuisine des boissons ® » comme « un moyen d’expression » pour lui, « une expérience » qui procure du plaisir et des souvenirs au client. Responsable du salon de thé de la pâtisserie Meert à Lille de 2009 à 2010, il créé un bar à « cocktails gourmands » où il transforme les grands classiques de la pâtisserie. À la carte : un whisky sour tarte citron meringuée, le célèbre Ispahan de Pierre Hermé, sans oublier la traditionnelle gaufre du Général de Gaule … version liquides !
À l’heure où les CHR doivent se différencier les uns des autres, les cocktails et leurs multiples variations offrent un terrain de jeux infini. Et les boissons peuvent tout à fait exprimer l’identité culinaire du chef. Victor Delpierre créé ainsi des cocktails signatures pour de grandes toques. Pour accompagner le Homard et Tête de Veau du chef lyonnais Christian Têtedoie, il invente le Homard Tequila Valériane. À l’occasion de la dernière édition du Festival de la Gastronomie en Provence Mmmh, il propose un cocktail pairing « tomate ADN modifiée » pour le chef triplement étoilé Glenn Viel. Sur le salon EquipHotel, en plus d’animer chaque jour un atelier cocktail dans le Bar VIP, il concoctera des cocktails signatures pour les cinq chefs, tous membres du réseau les Collectionneurs, qui officieront à tour de rôle sur le Lounge des Chefs (pavillon 4). Autre exemple : le chef Stéphane Buron, à la tête du Chabichou, restaurant deux étoiles à Courchevel, l’a invité pour deux soirées à quatre mains pour créer des accords mets et cocktails et leurs pendants sans alcool, une autre tendance majeure.
Sans alcool mais pas sans plaisir
En effet, la consommation de spiritueux avec un plus faible degré d’alcool, le low alcool (moins de 20°), ou l’extra low alcool (entre 7 et 13°) progresse. Les degrés diminuent jusqu’à atteindre le zéro. Selon une étude menée en ligne en octobre 2021 par Lyre’s, en France, près de 15 % des personnes interrogées, âgées de 16 à 64 ans, ne boivent pas d’alcool et 20 % déclarent en consommer moins qu’il y a cinq ans.
« Tous les industriels s’y mettent et c’est très bien » affirme René Delvincourt qui met juste un bémol : « ces alternatives ne doivent pas devenir une stratégie marketing pour habituer les plus jeunes à un goût ». Telle n’est certainement pas l’intention d’Augustin Laborde qui définit Le Paon qui boit comme une cave de boissons sans alcool « pour adultes ». L’établissement, le premier de ce genre en France, a ouvert ses portes en avril dernier dans le 19e arrondissement de Paris. Et si ses 400 références ne plairaient pas aux palais des enfants, c’est que la plupart sont sans sucre ajouté et avec de l’amertume.
Au sein de l’ABF, Matthias Giroud, Vice-Président en charge des relations internationales et du programme d’Ambassadeurs ABF Internationaux, est devenu en 2009 le premier chef de bar français à être nommé au prestigieux classement des World 50 Best Bars avec le Buddha Bar Paris. Fervent défenseur du sans alcool, il souhaite que le métier s’affranchisse des cocktails substituts, les virgin piña colada et autre virgin mojito qui reproduisent des classiques sans une goutte d’éthanol. Il y voit une analogie avec la cuisine végétarienne. De tristes assiettes dans lesquelles on s’était contenté de retirer la viande ou le poisson pour ne laisser que la garniture, les plats végétariens se retrouvent aujourd’hui sur les tables étoilées. Le Meilleur Ouvrier de France barman Christophe Davoine, Vice-Président de l’ABF chargé de la formation et des relations écoles, anime quant à lui des ateliers sur … les eaux.
Au restaurant, proposer des accords mets et sans alcool ne coulait pas de source il y a encore quelques années. Les chefs étaient réticents car les marges sur les vins et spiritueux sont confortables, ils craignaient le sucre et … la demande était quasi inexistante. Aujourd’hui, Victor Delpierre propose dans plusieurs établissements gastronomiques des boissons inspirées des vins monocépages mais à zéro degré. « L’idée n’est pas de faire du vin sans alcool mais de permettre aux consommateurs de retrouver dans leur verre (à vin) la texture, le goût et le visuel d’une variété de raisin. » Le mixologiste travaille sur ce sujet depuis 2015 et il a trouvé les techniques qui lui permettent d’extraire les parfums du vin grâce à des macérations, des infusions de fruits, de fleurs, de plantes, de poivres, d’épices ou de végétaux. Les retours clients sont d’après lui fantastiques.
Boissons saines pour la santé, respectueuses de la nature ou produites à proximité des lieux où elles sont dégustées : un vent de renouveau souffle sur l’univers des cocktails. Pour capter l’air du temps et mieux appréhender cette ère nouvelle, rendez-vous sur EquipHotel.