L’ergonomie aux fourneaux, un investissement d’avenir
Émincer, parer, malaxer ou encore râper : chaque plat est le résultat de dizaines de gestes répétés de nombreuses fois. En cuisine, si l’esprit crée et le palais tranche, ce sont les mains qui exécutent. En salle, la voix la voix s’use, les bras portent et les pieds s’abîment. Restaurer n’est pas un métier de tout repos et le corps peut être soumis à rude épreuve. Ainsi, les troubles musculosquelettiques (TMS) — en grande majorité des membres supérieurs — représentent 94 % des maladies professionnelles dans le secteur de la restauration au niveau national.
Port de marmites, de poêles pleines, de piles d’assiettes ou de casiers à bouteilles, chargement et déchargement des fours et du lave-vaisselle : les manutentions manuelles et les déplacements de charges sont fréquents et provoquent des douleurs au poignet (syndrome du canal carpien), au coudes (épicondylite, épitrochléite), aux épaules (tendinites des bras tendus), ainsi que des lésions chroniques de la colonne vertébrale (cervicalgies, lombalgies). De même, les manipulations répétitives effectuées à un rythme soutenu dans la préparation des plats et des pâtisseries et des postures contraignantes sont sources de multiples pathologies musculo-tendineuses.
Mieux vaut prévenir que guérir
Lorsqu’ils conduisent à une inaptitude professionnelle, ces troubles coûtent chers à la sécurité sociale : 1,4 millions d’euros d’indemnités journalières pour 1 100 personnes en arrêts de travail en 2018 (source : Ameli risques professionnels). Raison pour laquelle l’Assurance Maladie ne s’en lave pas les mains et a mis en place un programme national pour aider les entreprises à réduire l’impact des TMS et du mal de dos. Sa Caisse régionale pour l’Île-de-France, la Cramif, a entamé il y a plusieurs années déjà une démarche de long terme. Après une première expérience réussie en 2018, elle réitère son « Ergo Cook » sur l’édition 2022 du salon EquipHotel (PAVILLON 7.3).
L’espace témoin, développé en partenariat avec plusieurs fournisseurs, présentera des solutions ergonomiques qui permettent d’améliorer facilement et de manière notable le confort des salariés en cuisine. Citons un lave-vaisselle avec capot qui évite au plongeur de se baisser, un four et une hotte autonettoyants ou encore des équipements qui absorbent les bruits d’impact et insonorisent le lieu de travail. Ces outils ne seront pas seulement exposés mais également utilisés par des apprentis cuisiniers qui feront déguster leurs créations aux visiteurs du salon. « C’est une manière de valoriser l’amélioration des conditions de travail » explique Olivier Poisson, contrôleur de sécurité à la Cramif pour le département de la Seine-et-Marne et en charge du projet.
Comment raisonner sa consommation et gérer ses biodéchets ?
La preuve par l’exemple
Afin de récompenser les initiatives individuelles, la Cramif décerne chaque année des trophées à des entreprises vertueuses en matière de santé et de sécurité au travail. Dès 2014, le Rainforest Café, concession du groupe Flo au sein du Disney Village, est distingué pour avoir allégé le poids des plateaux portés par les cuisiniers jusqu’au passe puis les commis de salle.
Dans cet établissement qui sert 1 200 couverts par jour en moyenne, ce ne sont pas moins de 300 plateaux qui sont chargés et transportés chaque jour. Constatant les nombreux de problème de dos de ses salariés, Kevin Fullam, le gérant, décide de prendre les choses en main. C’est dans le Rainforest Café de la filiale américaine où il se rend tous les ans qu’il découvre des verres en polycarbonate, incassables, clairs comme le cristal et nettement plus légers que le verre. Ils en commandent pour remplacer les verres à soda pour enfants, ainsi que des assiettes en résine au lieu de la céramique. Le poids d’un plateau est ainsi divisé par deux (passant de 5 kg à 2,5 kg).
Ces aménagements ont porté leurs fruits : outre une diminution des douleurs dorsales des commis en fin de journée, cette nouvelle vaisselle plus résistante a également permis de réduire les nuisances sonores au poste de plonge ainsi que le risque de blessure par coupure. « Il existe souvent des alternatives de qualité, il suffit de les chercher » conclue M Fullam.
Il faut dire que l’ergonomie est une préoccupation majeure des fabricants d’équipements professionnels pour la restauration depuis longtemps déjà. Cette dimension apparaît au cahier des charges de toutes les nouvelles productions, au même titre que le respect des normes et de la sécurité. Les bureaux d’études des constructeurs de matériels performent en la matière, ajoutant des détails qui parfois font toute la différence. Et les avancées technologiques de ces dernières années ont permis de faire progresser les solutions automatiques qui s’enclenchent en appuyant sur un simple bouton.
Au Grand-Quevilly (Seine-Maritime), l’ergonomie des équipements compte parmi les critères de sélection lors de l’achat ou le renouvellement des équipements des deux unités de restauration collective de la ville qui servent 2 500 couverts par jour. Frédéric Delafosse, directeur de la restauration et l’entretien de la ville, cite en exemples une marmite à bain-marie d’un volume important (250 litres) qui est auto-basculante et une machine à trancher automatique qui produit 60 tranches à la minute. En gastronomie aussi, les chefs ont compris qu’ils peuvent aménager leur piano sur-mesure pour que chacun travaille sans se gêner et sans bouger de son poste au moment du coup de feu. Désormais, il est même possible d’y intégrer du froid et il n’est plus nécessaire de courir à la chambre froide lorsqu’il manque un ingrédient. Dans les deux restaurants du Relais & Châteaux Fleur de Loire (Blois), le chef Christophe Hay, parrain de l’édition 2022 d’EquipHotel, explique que tout est surélevé pour limiter le mal de dos de ses collaborateurs. Il veille également à limiter le bruit, responsable selon lui d’une grande part de la fatigue au travail.
Un coût qui a bon goût
Si ces changements nécessitent de mettre la main à la poche, des subventions publiques sont ouvertes aux plus petites entreprises, sous la forme de contrats de prévention sur-mesure ou de participations forfaitaires à l’achat d’équipements essentiels. Capital Palaces, un cabinet de conseil qui assiste les TPE et les PME (moins de 50 et de 200 salariés) dans la recherche de financements de leurs projets visant à réduire les risques majeurs d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sera d’ailleurs présent sur l’« Ergo Cook » d’EquipHotel.
Et cet argent qui n’est pas injecté directement dans l’assiette n’est pas pour autant jeté par les fenêtres, loin de là. Olivier Poisson aime répéter les conclusions d’une étude de l’Association Internationale de la Sécurité Sociale (AISS) réalisée dans quinze pays dans le monde qui affirment que chaque euro dépensé dans la prévention des risques professionnels rapporte en moyenne 2,2 euros de retour sur investissement (source : AISS, « Rendement de la prévention : calcul du ratio coût-bénéfices de l’investissement dans la sécurité et la santé en entreprise », Genève, 2011). Plus motivés et heureux au travail, les employés accorderaient une attention soutenue à la qualité des produits et à l’innovation. En cuisine, ce coût aurait donc bon goût. Au Grand-Quevilly, avec la mécanisation du tranchage, le nombre d’agents affectés à cette tâche est passé de trois à un, permettant l’embauche d’un pâtissier et donc le retour aux desserts faits maison.
Comment raisonner sa consommation et gérer ses biodéchets ?
Ajoutons que dans un contexte où le manque de personnel est criant, les restaurants ont tout intérêt à conserver leurs salariés en bonne santé. Olivier Poisson a ainsi calculé que les arrêts maladie dans le secteur CHR représentaient 6 527 équivalents temps plein en 2017. Un chiffre non négligeable alors que l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) estimait en avril dernier qu’entre 200 000 et 300 000 emplois restaient non-pourvues dans son secteur, majoritairement dans la restauration. Faire des pieds et des mains pour ses clients de devrait jamais se faire au détriment de ceux de ses salariés.
Mais cet exemple vertueux, où les problématiques d’ergonomie, d’écologie et de goût sont prises en compte dès la décision d’achat, cache des réalités sur le terrain parfois plus contrastées. Ce sera le sujet de la conférence « Équipement de cuisine « vertueux » : source de conflits ou source de profits ? » qui se tiendra mercredi 9 novembre à 10h30 sur le pavillon 4 d’EquipHotel dans le cadre d’une journée entière consacrée à la restauration collective.