Les agités du local : rencontre avec les ultras du circuit court
« Je suis allé au bout de ma conviction » affirme avec fierté le chef Christophe Hay. Après avoir obtenu deux étoiles au guide Michelin pour son précédant restaurant à Montlivault, le Loir-et-Chérien a ouvert en juin, à Blois, Fleur de Loire. L’hôtel « Relais & Châteaux » a été entièrement pensé et conçu dans une logique écoresponsable, de la rénovation de la bâtisse XVIIe siècle aux produits d’entretien écolabellisés en passant par les équipements qui permettent de limiter la consommation d’eau et d’électricité. Un engagement qui lui vaut d’avoir été choisi pour parrainer l’édition 2022 d’EquipHotel placée sous le thème de « l’hospitalité engagée ».
Hérault du kilomètre zéro
Dans l’assiette des deux tables gastronomiques, Amour Blanc et le restaurant Christophe Hay, tout est produit sur place ou presque. « Nous sommes en autosuffisance totale pour les légumes, je parviens même à en donner à mes voisins » s’amuse le chef. Une évidence pour celui qui est issu d’une famille agricole depuis cinq générations et qui s’inscrit dans la lignée du pionnier d’Eugénie-les-Bains Michel Guérard et du roi du légumes du restaurant parisien l’Arpège Alain Passard. Pour y parvenir, quatre jardiniers employés à plein temps entretiennent un hectare et demi de potager en plein centre de la cité ligérienne dans un quartier qui n’était autrefois constitué que de terres maraîchères. Un circuit ultra-court qui permet de se passer des chambres froides et d’obtenir une qualité maximale : « j’ai ainsi la garantie que les produits sont non seulement sains — ils sont cultivés en agriculture biologique — mais également qu’ils ont du goût et une meilleure valeur nutritive ». Des vitamines dont sont également gorgées les quatorze variétés d’agrumes qui poussent dans une serre datant des années 1930 et dont les seuls noms font voyager : les derniers cédrats de Collioures, des citrons de Corse, deux pieds d’ananas rapportés de Tahiti ou encore des limes rouges du Costa Rica.
Terre et mer
« Le plus grand potager au monde se trouve en face de nous » assure Christopher Coutanceau, à la tête de trois adresses à La Rochelle. L’océan, car c’est de lui dont il s’agit, est l’alpha et l’oméga du chef, une source d’inspiration et d’approvisionnements infinie en légumes marins que sont les algues, en fruits de mer et en poissons. À condition de respecter les saisons et le cycle biologique des espèces. En évitant par exemple le bar les premiers mois de l’année, période de sa reproduction. L’autodésigné « cuisinier-pêcheur » se rend tous les matins au port de La Rochelle pour la criée. Il privilégie une pêche locale, artisanale et à la ligne, mais aussi des poissons qui ne sont pas considérés comme nobles. Comme cette « sardine de la tête à la queue », plat signature de son restaurant triplement étoilé malgré sa modeste réputation. « Il a fallu faire preuve de pédagogie et expliquer aux clients que la sardine, très difficile à travailler, est riche en oméga 3 et en vitamines et pauvre en mercure en raison de sa courte espérance de vie ». Plus qu’une démarche durable, traduire en mets le terroir rochelais lui permet de raconter une histoire, celle d’une enfance en liberté — « à la Tom Sawyer » — passée sur l’Île de Ré à ramasser les casiers de pêche.
Même envie de valoriser les produits peu connus ou mal-aimés de son terroir chez Christophe Hay qui ne cuisine que des poissons de Loire pêché par Sylvain Arnoult. Brochet, sandre, carpe ou barbeau : entre ses mains, la cuisine des poissons d’eau douce, longtemps dénigrés, se réinvente et les clients s’attablent aujourd’hui pour goûter leur chair fine. Côté viande, le petit-fils de boucher a poussé le curseur jusqu’à posséder son propre cheptel de bœuf de Kobé. Les 38 têtes acquises en 2018 sont aujourd’hui 80 bêtes chouchoutées par Nicolas et Charlie Praizelin : 36 mois de prairie puis massage et musique à l’étable pour obtenir une viande persillée savoureuse et tendre. Les éleveurs Adèle Chamdavoise et Christophe Piou lui fournissent respectivement de la géline de Touraine, une race de volaille locale ancienne et de l’agneau de Sologne.
Créer du lien
Locavorisme ne signifie donc pas autarcie et s’entourer des bons fournisseurs est fondamental. Et ce n’est pas le Collège Culinaire de France (CCF), présent sur l’édition 2022 d’EquipHotel qui dira le contraire. Le CCF, qui réunit 3 000 artisans à travers la France, promeut la « haute valeur relationnelle » et organise des « marchés des ravitailleurs » et autres « marchés complices » pour aider ses membres à « affiner leur sourcing » et « créer une réelle proximité » explique sa secrétaire générale Célia Tunc.
Ces intermédiaires sont essentiels pour l’immense majorité qui ne possède pas de potager. Car les tables étoilées ne sont pas les seules concernées et même la restauration collective soumise aux marchés publics s’engage dans le mouvement locavore. Celle du Grand-Quevilly en Seine-Maritime par exemple, labellisée responsable, privilégie les approvisionnements locaux pour servir 2 500 couverts par jour. « Nous travaillons avec des éleveurs normands pour les vaches, la volaille (à 80 %) et le porc en qualité label rouge. Pour le bœuf nous achetons les bêtes entières qui sont utilisées en trois services pour ne rien jeter. De même nos yaourts proviennent de fermes locales » explique Frédéric Delafosse, le directeur de la restauration de la ville.
Même dans un contexte de hausse des prix des matières premières agricoles et produits alimentaires, cantines scolaires, cuisines de maisons de retraite ou de restaurants d’entreprises doivent relever le défi du développement durable, parmi d’autres. Ce sera le sujet de la conférence « Restauration collective : continuer à se réinventer face aux crises » qui se tiendra le mercredi 11 novembre à 14h sur EquipHotel (pavillon 4) au cours d’une journée toute entière consacrée à la restauration collective.
Si cette démarche donne du sens aux cuisiniers et leurs équipes et profite aux producteurs, elle séduit les clients des restaurants. Ils sont ainsi 94 % à déclarer rechercher en priorité une cuisine de marché et des produits de saison selon le baromètre 2021 du CCF. Plus de la moitié des consommateurs (58 % ) sont prêts à dépenser plus pour des produits et des services éthiques selon l’édition 2021 du baromètre Customer Experience Excellence (CEE) réalisé par le cabinet KPMG (présent à EquipHotel 2022).
Respecter l’environnement et les saisons, mettre en valeur le patrimoine gastronomique d’une région, rendre leurs lettres de noblesse à des produits délaissés, proposer une cuisine d’auteur ou s’assurer de la qualité et réduire le gaspillage : les formes et les objectifs du sourcing de proximité sont multiples. Des représentants du CCF exploreront sur EquipHotel ces pistes variées en apportant des retours d’expériences. Rendez-vous le 07 novembre à 16h sur le Talks Foodservice – Pavillon 4 pour faire le tour du circuit-court !